Mais quels étaient ces quatre ouvrages que le philosophe de Tarente a réunis avec tant de peine? L’un traitait de la législation (Περί νόμω), l’autre de la royauté (Περί βασιληίας), le troisième de la sainteté (Περί οσιότατος), et le quatrième de la génération ou de la nature de l’univers (Περί τάς τώ παντός γενεσιος). Nous possédons, sous ce dernier titre, qui lui-même pourrait bien être imaginaire un écrit qu’on n’a pas craint d’attribuer à Ocellus, et qui a été jusqu’à la fin du dernier siècle un objet de vénération pour les savants et les philosophes; mais il suffit de la moindre familiarité avec les règles de la critique, pour qu’on y reconnaisse à l’instant même une de ces falsifications dont la philosophie grecque a été si féconde à l’époque de sa décadence. Comment supposer, en effet, qu’il ait existé dans l’antiquité un monument comme celui-là, un ouvrage du Ve siècle avant l’ère chrétienne, écrit en quelque façon sous la dictée de Pythagore, qui n'est pas nommé une seule fois, dont il n’existe pas la moindre trace dans les œuvres de Platon et d’Aristote, quand nous voyons ces deux philosophes, surtout le dernier, si attentifs à toutes les opinions de leurs devanciers? Philon le Juif, Proclus, Syrianus, voilà les auteurs qui ont lu le prétendu traité d’Ocellus. Quelle confiance accorder après cela aux deux lettres citées par Diogène Laërce, et aux deux textes de Stobée (Eclogœ physicœ. lib. I, c. XVI et XXIV), dont l'un est un résumé en dialecte dorique du premier chapitre de l’ouvrage qui est entre nos mains; dont l’autre nous est donné pour un fragment du Traité de la législation? C’est bien pis si l’on interroge le livre lui-même. Langage et doctrine, il est presque tout entier péripatéticien. On y reconnaît du premier coup d’œil la physique d’Aristote, à laquelle vient se joindre le panthéisme matériel des stoïciens avec quelques rares éléments de la morale de Pythagore : éclectisme informe et mutilé, où les dogmes les plus essentiels de l’école italique, les nombres, l’harmonie, la monade, la métempsychose, la situation du soleil au centre du monde, ne sont pas même mentionnés. Au reste, voici une analyse sommaire de cet écrit, qui ne comprend que quatre chapitres. Le premier chapitre traite de l’univers en général ; le second, de la composition de l’univers ou des éléments dont il est formé; le troisième, de l’origine de l’homme: le quatrième, de ses devoirs, principalement dans le mariage. L’univers en général (τό παν) n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin : d’abord parce que, selon la maxime des anciens, rien ne naît du néant et ne peut s’y absorber ; ensuite, si le monde avait commencé et s’il était destiné à périr, nous assisterions à un mouvement de perfectionnement ou de décadence, ce qui n’a pas lieu; enfin, l’univers, c’est-à-dire le tout, ne peut être en rapport qu’avec lui-même, tandis que les parties dont il est formé ont besoin les unes des autres. Si l’univers ne peut être en rapport qu’avec lui-même, il est sa propre cause, il se suffit, il est éternel et parfait par lui-même (άίδιος χαι αυτοτελής έζ εαυτού). En effet, les premiers corps qui entrent dans sa composition, c’est-à-dire les astres, sont éternels et invariables. Les corps du second ordre, autrement nommés les éléments, ne font que changer de forme en tournant toujours dans le même cercle : le feu se convertit en air, l’air en eau, l’eau en terre et réciproquement. Le monde tout entier est d’une forme sphérique. Or, la sphère, partout égale et semblable a elle-même, n’a ni commencement ni fin. L’univers, à la première vue, se divise en deux grandes parties : l’une éternelle et immuable : c’est le ciel ou l’ensemble des corps célestes; l’autre soumise au changement et à la génération : c’est ce qui se trouve au-dessous de l’orbite de la lune, ou le monde sublunaire Cette seconde partie seule peut se décomposer en trois principes : 1° la matière indifferente à toute forme (ΰλη, τό πανδεχές) ou l’être sensible en puissance ; 2° la forme ou les qualités contraires (εναντιώσεις) par lesquelles la matière passe alternativement, et qui sont le chaud, le froid, le sec et l’humide; 3° les corps élémentaires constitués par la réunion des deux principes précédents, à savoir : le feu, l’air, l’eau, la terre. Aux quatre qualités premières que nous venons d’énumérer, l’on ajoute douze qualités secondaires divisées en trois séries ; ce qui fait en tout le nombre seize, ou le carré de quatre, en l’honneur, sans doute, de la tétrade pythagoricienne. Ces seize qualités se partagent entre les quatre éléments, qui se transforment, comme nous venons de le dire, les uns dans les autres, de telle sorte, que le feu et la terre forment toujours les extrêmes, l’eau et l’air les moyens. La cause de ces changements, c’est la partie invariable de l’univers qui peut être regardée comme un principe actif et divin; la partie variable est un principe passif et mortel. Mais ces deux principes sont purement relatifs, l’univers est un tout indivisible. L’univers étant éternel et nécessaire, ses parties essentielles, et, par suite, les formes générales, les espèces vivantes qu’il renferme dans son sein sont douées des mêmes attributs. L’espèce humaine n’a donc tiré son origine ni de la terre, ni des animaux, ni des plantes. Comme le monde tout entier, elle a toujours été et sera toujours. Elle occupe sur la terre le même rang que les démons dans l’air et les dieux dans le ciel : le rang que lui donne sa supériorité. Si l’espèce humaine est impérissable, les individus dont elle se compose sont mortels; voilà pourquoi elle a besoin de se renouveler et de se reproduire. L’union des sexes a donc pour fin, non le plaisir, mais la perpétuité de l’espèce, et doit être réglée par le mariage ; car il ne faut pas que l’homme ressemble à la brute, dont l’instinct est la seule loi. Le mariage doit être conforme aux règles de la sainteté. L’auteur se plaint de ce que, dans le choix d'une épouse, on n’a égard qu’à la fortune et à la naissance, au lieu de rechercher la convenance de l’âge, de l’esprit et des goûts. De là, dit-il, la discorde dans le ménage, puis dans la cité. Le bon ordre dans l’État, a pour condition le bon ordre dans la famille, et l’ordre de la famille repose, non- seulement sur l’harmonie des époux, mais sur l’éducation des enfants. Il faut élever les enfants dans la vertu, dans le travail, dans la sobriété, dans la tempérance, dans l’innocence des idées et des mœurs.
Dernière mise à jour:2016-03-06 01:43:44 |