Le second ouvrage d'Ulric de Hutten. le panégyrique d'Albert de Brandebourg, archevêque de Mayence (In laudem reverendissimi Alberti, archiepiscopi Moguntini, panegyricus), est une glorification de l'Allemagne où l'apologie du passé est mêlée d'appels enthousiastes à l'avenir. L'élégance des formes latines et la fougue des sentiments germaniques y forment un singulier contraste. Ce contraste, c'est tout Ulric de Hutten. Pendant sa vie entière, on le voit passionné pour la renaissance des lettres et la mission de l'Allemagne. A l'ignorance oppressive du moyen âge déclinant il oppose les lumières de la renaissance; aux prétentions et aux abus de la cour de Rome, la fierté germanique. Ses écrits antérieurs à 1517 renferment bien des idées qui font pressentir la réforme. Lorsque Luther commencera son audacieuse entreprise, il aura un allié tout naturel, et assez embarrassant quelquefois, dans l'intré-pide adversaire des moines et des romanistes. Il y a un livre d'Ulric de Hutten qui a sa place marquée dans la lutte de l'esprit et de la philo-sophie moderne contre la philosophie scolastique, ce sont les Lettres des hommes obscurs: Epistolœ obscurorum virorum ad venerabilem virum magistrum Ortuinum Gratium, in-4, Venise (probablement Mayence), 1516. Elles ont été publiées en trois parties; la troisième partie porte ce titre : Epistolarum obscurorum virorum a diversis ad diversos scriptarum et nil proeter lusum jocumque continentium in arrogantes sciolos, plerumque famoe bonorum virorum obtrectatores, et sanioris doctrinœ contamina-tores, pars III). Intervenant dans l'odieuse querelle suscitée au savant Reuchlin par les théologiens de Cologne, Ulric de Hutten composa une satire où la barbarie monacale, au commencement du xvie siècle, est impitoyablement bafouée. L'auteur suppose que les théologiens de Cologne, correspondant avec un de leurs chefs, lui donnent des nouvelles de la dispute de la faculté de théologie avec Reuchlin, et il leur fait exprimer, dans un latin digne du sujet, les secrètes pensées de cette ridicule et grossière oppression. La publication des Lettres des hommes obscurs a été un des coups les plus terribles portés par le xvie siècle aux inepties de la scolastique expirante. Si Ulric de Hutten n'est pas le seul auteur de ce pamphlet célèbre, il n'est plus permis de nier aujourd'hui qu'il y ait eu la plus grande part, et que, sans son impulsion, cette œuvre si curieuse n'eut pas vu le jour. Ses autres ouvrages n'appartiennent qu'indirectement à l'histoire des sciences philosophiques. Soit qu'il lance d'éloquentes invectives au duc de Wurtemberg, assassin de son cousin Jean de Hutten; soit que dans maints pamphlets il vienne au secours de Luther (Ein Klagschrift an alle Stand teutscher Nation; — Auferwecker der teutscher Nation, etc.); soit que dans des dialogues imités de Lucien il confronte l'Italie et l'Allemagne et encourage celle-ci dans sa révolte (Trias romana, inspicientes, etc.), Ulric de Hutten nous apparaît toujours comme l'une des plus curieuses figures du xvI siècle; mais la philosophie proprement dite a peu de chose à revendiquer dans ses travaux. Le moyen âge était mort; ce que cette période avait eu de grand et de sérieux avait depuis longtemps disparu; il n'en restait plus qu'un appareil philosophique sans âme, des institutions vieillies, maintes entraves contre lesquelles se heurtait sans cesse le vivant esprit du monde moderne ; c'était travailler à la cause de la philosophie que d'écarter ces obstacles et de frapper de ridicule l'odieux despotisme de l'ignorance. Telle a été la tâche remplie par Ulric de Hutten, et dont l'histoire des idées doit lui tenir compte; tâche qu'il eût rendue plus bienfaisante encore, s'il n'eût pas mis trop souvent la violence au service du bon droit, et si son impétuosité, ses colères, ses téméraires innovations n'eussent alarmé Luther lui-même.
Dernière mise à jour:2009-06-03 00:03:34 |