Zenon n'a rien ajouté au système de Parménide ; il s'est borné à le défendre contre l'école ionienne, à en être le champion ; et c'est à ce titre qu'Aristote le considère comme l'inventeur de la dialectique. C'est pour la même raison, sans doute, qu'il est le premier philosophe de l'école d'Élée qui ait écrit en prose; car la discussion, la polémique est incompatible avec la poésie. Diogène Laërce assure qu'il a beaucoup écrit; mais il ne nomme pas ses ouvrages. Suidas leur donne les titres suivants, qui s'accordent assez bien avec le rôle et le caractère de Zénon : les Disputes ou les Controverses (Έριδας); Examen ou Explication d'Empédocle (Έξηγησις του 'Eμπεδxλέους) ; Contre les philosophes naturalistes, probablement les ioniens (προς τούς φιλοσόφούς περί φύσεως). Mais, si ces livres ont véritablement existé, il n'en est rien arrivé jusqu'à nous. Tout ce que nous savons, c'est que Zénon, soit dans ses écrits, soit dans ses discussions orales, employait la forme du dialogue, et procédait par demandes et par réponses. Nous pouvons cependant nous faire une idée générale de sa manière, par l'analyse que Platon, dans l'introduction du Parménide, nous a laissée d'un de ses livres. Cette composition était partagée en plusieurs sections ou chapitres (λόγους), et chacun de ces chapitres en plusieurs propositions ou hypothèses. C'étaient les propositions mêmes de ses adversaires que Zénon commençait à admettre par hypothèse, et dont il pressait ensuite les conséquences pour les faire tomber dans l'absurde. Tel est, en effet, le caractère propre de la dialectique, qu'il ne faut pas confondre avec la logique. Toute l'argumentation de Zénon est dirigée contre le mouvement; car, le mouvement supprimé, il emporte nécessairement avec lui la génération et la mort, l'accroissement et la diminution, le changement, en un mot tous les phénomènes de la nature et la nature ellemême. Le mouvement, en effet, c'est la vie générale de la nature, la première condition de son existence Sans lui, Dieu ne peut concevoir la pluralité des êtres, puisque la division, qui donne naissance à la pluralité, n'est qu'une forme du mouvement. Mais à quelle condition peuton supprimer le mouvement? A la condition de supprimer le temps et l'espace, dans lesquels notre raison place tous les changements. On supprime le temps et l'espace lorsqu'on en retranche la notion d'unité, ou quand, au lieu de les concevoir comme des touts continus, on les réduit à des points et à des moments isolés, dont chacun sa divise à l'infini. Cette dissolution du temps et de l'espace, conséquence extrême du système ionien, voilà l'hypothèse sur laquelle reposent les arguments de Zénon, tels qu'Aristote nous les a conservés dans sa Physique (liv. VI, ch. ix), et qui pourraient bien être tirés du livre de Zénon intitulé les Controverses. Ils sont au nombre de quatre. 1° « Le mouvement est impossible, parce que ce qui est en mouvement doit traverser le milieu avant d'arriver au but (ce qui ne peut pas avoir lieu là où il n'y a pas de continuité et où chaque point se divise à l'infini). » 2° « Le mouvement n'existe pas; car ce qui court le plus vite ne peut jamais atteindre ce qui court le plus lentement. En effet, il faudrait que celui qui poursuit fût déjà arrivé au point d'où l'autre part (ce qui ne peut pas être avec la divisibilité infinie et la discontinuité de l'espace, qui met toujours un infiniment petit entre les deux coureurs). » C'est cet argument qu'on a appelé l'Achille : car il suppose qu'Achille aux pieds légers ne peut jamais atteindre la lourde tortue. 3° « Le mouvement est identique au non-mouvement (au repos). En effet, tout mouvement a lieu dans un espace qui lui est égal, c'est-à-dire où il a lieu au moment où il existe ; donc, comme on est toujours là où l'on est, la flèche est toujours en repos quand elle est en mouvement (car elle n'est jamais où elle n'est point). » 4° « Le mouvement conduit a l'absurde. Supposez deux corps égaux entre eux, mus dans un espace donné et dans une direction opposée et avec la même vitesse; supposez que l'un part de l'extrémité de l'espace donné, l'autre du milieu (comme l'un n'aura parcouru que la moitié de l'espace quand l'autre l'aura parcouru entièrement, le même espace sera parcouru par deux corps égaux et d'égale vitesse dans un temps inégal), il en résulte qu'une moitié du temps paraît égale au double. » Outre ces quatre arguments principaux, il y en avait d'autres également rapportés par Aristote ; par exemple celui-ci : tout mouvement est changement ; or, changer, c'est n'être ni ce qu'on était, ni ce qu'on sera; donc ce qui change n'est pas, ou le changement, par conséquent le mouvement, n'a lieu dans rien. C'est, dit-on, en entendant ces objections contre le mouvement, que Diogène le Cynique, pour toute réponse, se mit à marcher. Mais cette réponse n'en est pas une; car Zénon s'adressait à un système qui, niant toute unité et ne reconnaissant que des choses multiples et divisibles, était forcé de nier aussi la continuité de l'espace et du temps. Zénon élevait aussi contre l'espace une objection directe, également tirée de l'idée de pluralité. « L'espace, disait-il, est le lieu des corps; mais dans quel espace est l'espace luimême?» Il fallait répondre : dans un autre espace, et celui-ci dans un autre encore, et toujours ainsi jusqu'à l'infini. La conclusion était que la pluralité est impossible et qu'il n'y a que l'unité. C'est cette dialectique, et son habileté à mettre ses adversaires en contradiction avec eux-mêmes, qui ont fait passer Zénon, aux yeux de quelques-uns, pour le premier représentant du scepticisme; mais Zénon sceptique ne serait pas le disciple de Parménide. Platon ne dirait pas que ses écrits étaient une défense de la doctrine de son maître. Quant à la physique que lui attribue Diogène Laërce (liv. IX, § 30), elle est la même que celle de Parménide, et repose sur le même principe, sur l'opinion ou les apparences contradictoires des sens. Elle nous montre les contraires, le chaud et le froid, le sec et l'humide, comme les principes de toutes choses.
Dernière mise à jour:2009-06-04 10:59:23 |