Comme philosophe, Xénocrate est beaucoup moins remarquable. Autant que nous pouvons juger de sa doctrine par de rares traditions, dispersées dans différents auteurs, elle consistait principalement à traduire les idées de Platon par les formules mathématiques de l'école pythagoricienne. Ainsi, Dieu et l'âme du monde sont pour lui la monade et la dyade : la monade qui est aussi appelée le père des dieux, la raison, le nombre impair, règne dans le ciel ; la dyade, c'est la mère des dieux, le dieu femelle, qui préside au mouvement oblique des planètes Tous deux ensemble ont donné naissance au ciel et aux sept planètes. L'intelligence pure qui a formé le monde, la substance des idées ou la nature divine est comparée au triangle équila-téral, parce qu'elle est partout semblable à elle-même ; le triangle scalène, au contraire, formé de côtés inégaux, nous représente les choses mortelles; et le triangle isocèle celles qui tiennent le milieu entre les deux extrêmes, c'est-à-dire les génies, les forces immatérielles, parce qu'il se compose de deux côtés égaux. Quant à l'âme humaine, il continue de l'appeler, avec Pythagore et Platon, un nombre qui se meut lui-même. En résumé, l'assimilation que Platon établit, dans le Timée, entre les éléments matériels et les diverses formes géométriques, Xénocrate cherche à l'étendre aux êtres et aux idées en général ; mais cette assimilation ne va pas jusqu'à l'identification ou à la confusion des nombres avec les choses elles-mêmes. Ainsi, Dieu, pour lui, n'est pas seulement l'unité; c'est l'intelligence active dont la pensée pénètre l'univers et se manifeste jusque dans les animaux privés de raison, c'est-à-dire dans les lois de l'instinct. Cependant on peut dire qu'il a abaissé la doctrine de Platon : car tandis que celui-ci nous montre les nombres comme un intermédiaire entre les choses périssables et les idées, Xénocrate les met sur la même ligne que les idées, ou tend à effacer toute différence entre les uns et les autres. Il résulte de là que, le monde intelligible se trouvant immédiatement en contact avec le monde sensible, le dernier peut être considéré simplement comme un degré inférieur du premier, et la série, la progression des nombres, comme l'expression fidèle des rapports des êtres. Telle paraît être, en effet, la pensée de Xénocrate lorsqu'il distingue un Jupiter très-haut (ΰπατον Δία), un Jupiter premier, qui n'est pas autre chose que l'essence même des idées, et un Jupiter dernier (τoν νέατον), dont le siége est dans la lune ; lorsqu'il reconnaît dans le ciel et dans les étoiles autant de divinités; lorsqu'il assigne à l'âme du monde la place que Platon donne à la matière; enfin, lorsqu'il admet, au-dessous de l'âme du monde, un nombre infini de génies ou de démons, les uns bons, les autres méchants, qui agissent sur les âmes humaines et régnent sur les éléments de la matière. Dans cette théorie confuse ne voit-on pas le germe du système néo-platonicien? Xénocrate prenait tellement au sérieux le rapport des choses avec les nombres, qu'il l'opposait comme un argument aux objections que Zenon tirait de la divisibilité infinie de la matière contre l'existence du monde. Chaque corps ayant son essence propre, et cette essence étant représentée par une figure de géométrie, par un triangle particulier, il en concluait qu'il y a des triangles et, par conséquent, des lignes indivisibles. C'est contre cette chimere qu'Aristote a écrit son livre des Lignes insécables. La morale de Xénocrate nous laisse peu de chose à dire : elle paraît avoir été plus pratique que spéculative, et se réduit à quelques maximes, telles que celle-ci : « Les véritables philosophes sont ceux qui font volontairement ce que les autres hommes font par la crainte des lois. » Il résulte cependant d'un passage de saint Clément d'Alexandrie (Strom., liv. II), qu'il cherchait à unir le bonheur avec la vertu, regardant celui-là comme une conséquence de celle-ci ; et comme le bonheur ne peut être conquis que par les forces et les facultés qui sont soumises à notre âme, il voulait aussi le développement de toutes nos facultés ; mais il croyait en même temps que le bonheur complet est impossible et qu'il faut savoir choisir entre les biens de l'âme et ceux du corps.
Dernière mise à jour:2009-05-31 04:30:58 |