On admirait surtout sa méthode, par laquelle il prétendait tout démontrer en philosophie, comme la géométrie démontre ses théorèmes. Nous n'avons pas, ici, à faire le procès de cette méthode; elle est jugée depuis longtemps, et il est à peu près universellement reconnu, aujourd'hui, que les vérités philosophiques ne se démontrent pas comme les propositions mathématiques; que, pour les faire admettre, il importe moins de les exposer dogmatiquement telles qu'elles résultent de nos recherches, que de montrer comment elles se produisent par la méditation sur les faits, et que l'argumentation philosophique est moins une déduction logique procédant par des syllogismes appuyés sur des définitions et des axiomes admis d'avance, qu'une déduction réelle, qui établit que nos propositions sont fondées dans la conscience, dans la nature raisonnable de l'homme, qu'elles sont l'expression même de la raison. Wolf lui-même, qui fait consister la science en une suite d'assertions démontrées (scientia est habitus asserta demonstrandi), est cependant obligé d'invoquer l'expérience et la nature de l'entendement. Ainsi, pour établir le principe de la contradiction, qui est, selon lui, la source de toute certitude, il dit (Ontologie, § 27) : « Telle est la nature de notre intelligence, que, lorsque nous jugeons qu'une chose est, nous ne pouvons en même temps admettre qu'elle ne soit pas. » Il démontre souvent les vérités les plus simples et les plus immédiates, qu'il suffit d'énoncer pour les faire admettre aussitôt. C'est ainsi qu'il prouve, formellement, que le tout est plus grand qu'aucune de ses parties, et que la partie de la partie est aussi une partie du tout. Cette méthode est la cause principale de cette extrême prolixité qu'on a tant reprochée aux ouvrages de Wolf, et qui provoqua l'impatience de Frédéric II et les railleries de Voltaire sur l'esprit lourd des philosophes allemands.
Outre ses travaux sur les mathématiques, Wolf a laissé deux séries d'ouvrages : les uns, écrits en allemand, à Halle, de 1712 à 1723; les autres, en latin, de 1728 à 1750, et formant ensemble une véritable encyclopédie des sciences philosophiques en vingt-trois volumes in-4. Les premiers, sous le titre commun de Pensées philosophiques (Vernuenftige gedanken), traitent successivement des facultés de l'entendement et de leur bon usage dans la recherche de la vérité (1712) ; ouvrage que Jean Deschamps traduisit (en 1736) en français, sous le nom de Logique; — de Dieu, du monde, de l'âme humaine (1719) ; — de la Conduite des hommes dans la recherche du bonheur (1720); — de la Vie sociale et de la chose publique (1721) ; — des Effets ou des produits de la nature (1723); — des Fins des choses naturelles, ou des causes finales (1723).
Les historiens de la littérature allemande parlent de ces écrits avec reconnaissance. Wolf, le premier, exprima, en langue allemande, les vérités philosophiques avec clarté et précision, si ce n'est avec élégance. Ses œuvres latines offrent un corps de doctrine philosophique à peu près complet, selon l'idée qu'il dut se faire de la science après Bacon, Descartes et Leibniz. Elles se succèdent dans l'ordre même où, selon lui, les diverses parties de la philosophie doivent être étudiées. Avant de les énumérer, nous devons faire connaître sa théorie de l'organisation des sciences philosophiques, telle qu'il l'a exposée dans le discours préliminaire placé en tête de sa Logique, et qui est une véritable introduction à la philosophie. Il y traite de la connaissance et de la philosophie en général, de la division, de la méthode, du style philosophique, enfin de la liberté de penser. Victime lui-même de l'intolérance, il défend cette liberté avec quelque chaleur, par la raison, surtout, que sans elle il n'y a pas de philosophie. Il montre que la vraie philosophie n'est pas nécessairement contraire à la révélation, et qu'elle ne saurait l'être ni à la moralité ni a l'ordre public; que la liberté est la condition de tout progrès, non pas seulement pour la science philosophique, mais pour toutes les autres sciences, en tant que toutes dépendent d'elle. Il y a, selon Wolf, trois espèces de connaissances : la connaissance historique ou expérimentale (la connaissance des faits qui s'offrent à nous soit par les sens, soit par l'observation interne); la connaissance philosophique, qui a pour objet d'expliquer les faits en en recherchant les raisons et les causes; enfin la connaissance mathématique. La philosophie part naturellement de l'expérience, qu'elle doit expliquer. Elle est la science des possibles, en tant qu'ils sont; elle recherche pourquoi les choses sont ce qu'elles sont, et non pas autres. La division de la philosophie a son principe dans la nature diverse de ses objets. Or, ces objets étant : Dieu, l'âme humaine et les corps, la philosophie se divise en trois parties : la théologie, la psychologie et la physique. Les deux principales facultés de l'âme sont la faculté de connaître et la faculté d'appétition, la pensée et la volonté. Elles peuvent s'égarer, celle-là dans la recherche du vrai, celle-ci dans la poursuite du bien; de là, pour en diriger l'exercice, la nécessité de deux sciences philosophiques : la logique et la philosophie pratique. La philosophie pratique comprend la morale et la politique. La première doit régler les actions libres de l'homme, en tant qu'il ne dépend que de lui-même, qu'il est sui juris; la seconde, celles du citoyen. Les sociétés particulières, telles que la famille, qui sont comprises dans la grande société appelée l'État, sont l'objet de la science économique. La morale, la politique, l'économique ont pour base commune le droit de la nature, ou la connaissance du bien et du mal dans les actions humaines, laquelle suppose elle-même certains principes généraux, fondement de toute la philosophie pratique, et qui constituent ce que Wolf appelle la philosophie pratique universelle. A la suite de la philosophie, il place la technologie ou la science des arts et métiers, et la philosophie des arts libéraux, qui, selon lui, comprend la grammaire générale, la rhétorique, la poétique, déjà traitées en ce sens par Thomas Campanella, qui y avait ajouté, en outre, l'historiographie. Mais il y a des qualités qui appartiennent à l'être en général, et qui sont l'objet de l'ontologie, de la philosophie première. Wolf propose de réunir, sous le nom commun de métaphysique, l'ontologie, la cosmologie transcendantale, la psychologie et la théologie rationnelle ; et il appelle l'attention sur cette partie de la philosophie physique qui s'occupe des causes finales, et à laquelle il a donné le nom de téléologie, adopté depuis par Kant. Après avoir ainsi délimité le domaine des sciences philosophiques, Wolf, recherchant l'ordre dans lequel il convient de les exposer et de les étudier, établit qu'elles doivent se suivre, de telle sorte que celles qui précèdent fournissent les principes de celles qui viennent après. La logique doit être étudiée la première, bien qu'au fond elle s'appuie sur l'ontologie et la psychologie. Après la logique viendra la métaphysique, qui fournit des principes à la philosophie pratique et à la physique. En tête de la métaphysique sera placée l'ontologie, suivie de la cosmologie, de la psychologie et de la théologie, laquelle sera confirmée par la téléologie. La psychologie rationnelle doit être précédée d'une psychologie uniquement fondée sur l'observation. Enfin, les diverses parties de la philosophie pratique, fondées sur des principes généraux et le droit de la nature, doivent se suivre, de telle sorte que la morale précède la pratique, et celle-ci la politique. C'est dans cet ordre que Wolf traita les diverses parties des sciences philosophiques.
Il publia, de 1728 à 1736, une Logique (Philosophia rationalis, sive Logica, methodo scientifica pertrac-tata, in-4, Francfort et Leipzig, 1728) ; — une Ontologie (Philosophia prima, sive Ontologia, etc., in-4, 1730) ; — une Cosmologie (Cosmologia generalis, etc., in-4, 1731); — une Psychologie expérimentale (Psychologia empirica, etc., in-4, 1732); — une Psychologie rationnelle (Psychologia rationalis, etc., in-4, 1734); — une Théologie naturelle (Theologia naturalis, etc., 2 vol. in-4, 1736). — Après avoir ainsi exposé un système complet, selon lui, de philosophie théorique, abordant les sciences morales et politiques, il fit paraître, de 1738 à 1750, un traité sur la Philosophie pratique générale (Philosophia practica universalis, methodo scientifica, 2 vol. in-4, Francfort et Leipzig, 1738) ; — un ouvrage très-étendu sur le Droit de la nature (Jus naturœ, etc., 8 vol. in-8, 1740 et années suivantes), suivi du Droit des gens (Jus gentium, etc., 1750), et d'une Philosophie morale (Philosophia moralis, sive Ethica, 4 vol. in-4, 1750). Pour compléter le système, il manquait un traité de philosophie politique. Wolf n'eut pas le temps de l'achever. Il fut terminé par Hanovius un de ses disciples (Philosophiœ civilis seu politicœ partes quatuor, 4 vol. in-4, 1746).
Il est impossible de donner ici une analyse de tant d'ouvrages. Nous devons nous borner à en indiquer les idées fondamentales et le plan général. La logique est divisée en deux parties, l'une théorique, l'autre pratique. La première traite des principes logiques, des notions, du jugement, du raisonnement; la seconde, de l'usage de la logique dans la recherche de la vérité, dans la composition, la lecture et la critique des livres, dans l'enseignement et la discussion, dans l'estimation des facultés requises pour la connaissance des choses, dans la vie pratique. L'ontologie ou la philosophie première, telle que la concevait Wolf, est, à la fois, une théorie de la connaissance et de l'être. Elle expose les principes qui sont le fondement de toute certitude, de toute philosophie, et ne mérite pas le mépris que professaient pour elle les cartésiens L'auteur commence par établir le principe de contradiction et celui de la raison suffisante. Le principe de la raison suffisante implique, selon lui, cette proposition, que tout dans le monde est raisonnable, que tout est gouverné par la raison Par conséquent, le principe de la raison suffi sante, sur lequel repose toute la théodicée de Leibniz et de Wolf, a une plus grande portée que le simple principe de causalité. Tout a sa cause, sa raison d'être; mais, pour conclure de là que tout est bien, il faut placer la dernière raison de tout en un être parlait, tel que nous concevons Dieu. Wolf détermine ensuite les idées ontologiques générales : l'essence et l'existence, la nécessité et la contingence, la quantité, la qualité, l'ordre, la vérité, la perfection. Dans la seconde partie, traitant des diverses espèces d'êtres et de leurs rapports, de l'être composé et de son essence, du temps et de l'espace, de la contiguïté et de la continuité, du mouvement, il expose la monadologie de Leibniz, en définissant les êtres simples, indivisibles, sans étendue et sans figure, sans mouvement intérieur : ils existent, puisqu'il y a des êtres composés; ils ne sont pas nés do ceux-ci ni d'autres êtres; ils sont créés en tant qu'ils sont contingents. Il définit, enfin, les idées de substance (un sujet qui dure et qui est modifiable) , de dépendance, de relation, de causalité, etc. La Cosmologie transcendante, que Wolf se vante d'avoir, le premier, traitée à part sous ce titre, a pour objet de conduire, par la contemplation générale du monde, à une connaissance solide de Dieu et de la nature. C'est là que, après avoir déterminé l'idée de l'univers, les rapports qui lient toutes choses entre elles, les lois du mouvement, Wolf expose, dans la troisième partie, le système de Leibniz de la perfection du monde actuel, l'optimisme universel. La contingence de l'univers et de l'ordre dans la nature, jointe à l'impossibilité de l'expliquer par le hasard, conduit nécessairement à la conviction de l'existence de Dieu. La psychologie expérimentale, qui, selon Wolf, doit servir à la fois de point de départ à la psychologie transcendantale, de préparation a la théologie et de fondement à la philosophie morale, est divisée en deux parties. Dans la première, il traite de l'âme en général, et de la faculté de penser en particulier. Il établit ce fait capital, que toute pensée implique perception et aperception, c'est-à-dire que toute pensée est un acte de l'esprit par lequel l'âme a conscience d'elle-même et de quelque chose qui n'est pas elle et qui est l'objet de la pensée. Il distingua entre la faculté de connaître inférieure (les sens, l'imagination, la mémoire), et la faculté de connaître supérieure (la réflexion, l'intelligence, l'intellect pur). Il distingue de même, dans la seconde partie qui traite de la faculté d'appétition, entre l'appétition intérieure et l'appétition supérieure. Sous le premier titre, il traite des appétits sensuels, des passions, des affections, des sentiments divers qui agitent le cœur humain; sous le second, des appétitions rationnelles, des motifs, de la liberté, qu'il définit la faculté de choisir à son gré, entre plusieurs possibles, sans être déterminé a l'action par l'essence de l'âme. Il faut des motifs pour agir; mais l'action n'en est pas moins libre et contingente. L'auteur admet ici, comme un fait, la dépendance mutuelle de l'âme et du corps, sauf à l'expliquer, ailleurs, par l'harmonie préétablie entre les mouvements de l'un et ceux de l'autre. Dans la psychologie rationnelle, il cherche à expliquer les faits de conscience par l'essence de l'âme. Elle tire ses principes de l'ontologie et de la cosmologie, et s'appuie sur la psychologie d'expérience. Dans les deux premières sections, suivant pas à pas les faits exposés dans la psychologie expérimentale, Wolf établit par des arguments solides la simplicité, l'immatérialité et la substantialité distincte de l'âme, du principe pensant. Comme substance simple, l'âme n'a qu'une seule et même force, qui est la source de toute son activité; mais cette force unique produit des effets divers, et se montre sous différents aspects. Elle se représente l'univers de son point de vue, c'est-à-dire d'après la place qu'y occupe son organisme et selon la nature de ses organes. Dans la troisième section, l'auteur expose l'hypothèse de l'harmonie préétablie, qu'il détourne quelque peu de son sens primitif et qu'il cherche à concilier subtilement avec la liberté et la responsabilité morale, en disant qu'il n'y a de prédéterminé que l'accord des impressions reçues par les organes avec les perceptions correspondantes, ainsi que des appétitions avec les mouvements du corps, mais que l'âme n'en est pas moins maîtresse de ses actions, l'arbitre de ses déterminations. Dans la dernière section enfin, Wolf, traitant de l'âme des bêtes, accorde à celles-là des facultés semblables à nos facultés inférieures; leurs âmes sont des monades impérissables, mais non pas immortelles. La Théologie naturelle est peut-être l'ouvrage le plus important de Wolf, non pas seulement par son sujet, mais encore par la manière dont il l'a traité. Il est divisé en deux parties. Dans la première, où il cherche à prouver l'existence de Dieu en partant de l'expérience, il établit d'abord que les êtres que nous connaissons supposent un être nécessaire, et détermine les attributs qui lui appartiennent. L'intelligence appartient à l'être nécessaire tout aussi nécessairement qu'il existe. Son existence implique la toute-puissance, la volonté et la liberté, la sagesse et la bonté. Il n'y a de véritablement substantiel ou de réel que les êtres simples dont tout est composé, et ces êtres simples étant contingents ont en Dieu le principe de leur existence et de leur combinaison. Dieu est donc le créateur du monde, et la création implique la providence. La nature est immuable comme la volonté divine; la conservation de l'univers est une création continuelle, l'acte de création continu. Par là même, Dieu est le maître souverain de l'univers; il a sur ses créatures un pouvoir absolu, mais il ne peut vouloir que leur bonheur. Dans la seconde partie, il s'applique à démontrer l'existence et les attributs de Dieu a priori, en se fondant sur l'idée que se fait naturellement la raison d'un être tout parfait (Ens perfectissimum, realissimum). C'est principalement cette argumentation, reproduite de Descartes et d'Anselme de Cantorbéry, que Kant a eue en vue dans sa critique de l'ancienne théologie. Selon Kant, l'être tout réel est un idéal que la raison conçoit nécessairement, mais d'où l'on ne peut pas conclure légitimement à sa réalité objective. Les auteurs de l'argument, et Wolf à leur suite, n'avaient pas assez insisté sur la nécessité avec laquelle l'idée de Dieu s'impose à la raison, nécessité qui cependant fait toute la preuve ontologique. Cette idée une fois admise comme réelle, tous les attributs ordinaires de Dieu en résultent logiquement. La théologie naturelle se termine par une réfutation de l'athéisme et des erreurs qui en approchent ou en découlent : le fatalisme, le déisme qui nie la Providence, l'anthropomorphisme, le matérialisme, l'idéalisme vulgaire, le manichéisme, le spinozisme. Ce traité est surtout remarquable par le soin extrême avec lequel le philosophe a cherché à épurer l'idée de Dieu, à déterminer sa personnalité, son intelligence, sa volonté, sa liberté, et à mettre sa doctrine d'accord avec l'esprit des saintes Écritures. Ainsi, par exemple, il conçoit l'entendement divin comme purement intuitif; Dieu connaît tout distinctement et tout ensemble d'une seule et même vue; sa connaissance est un acte et non une faculté. Son intelligence est la représentation à la fois distincte et simultanée de toutes les choses possibles. Il nous reste à caractériser rapidement la philosophie morale et politique de Wolf. C'est la partie qu'il traite avec le plus d'indépendance et le plus de prédilection, mais malheureusement aussi avec le plus de prolixité. Sa division de la philosophie pratique est pour le fond celle d'Aristote, tandis que l'idée fondamentale, directement empruntée de Leibniz, rappelle la formule générale des stoïciens. Le premier principe de la morale de Wolf est fondé sur l'idée de perfection Dans l'ontologie, il avait défini la perfection avec Leibniz, l'harmonie ou l'unité dans la variété. En morale, elle consiste dans la conformité de l'état présent de l'homme avec son état passé et son état futur, et dans l'accord de ce même état avec l'essence, la nature de l'homme, telle que la conçoit la raison éclairée par l'observation psychologique « Perfectionne-toi » (Perfice te ipsum), tel est le devoir suprême et qui renferme tous les autres devoirs; et comme nul ne peut se perfectionner tout seul, sans le concours d'autrui, la règle générale est celle-ci : « Fais ce qui peut rendre plus parfait ton état et celui de les semblables, autant qu'il est en toi. » Cette perfection est aussi le souverain bien, la véritable félicité, qui a pour condition la satisfaction intérieure. Le bien est tout ce qui peut contribuer à rendre plus parfait l'état de l'homme. Il est autre chose que l'utile. L'utilité ou le dommage qui peut résulter d'une action n'est pas ce qui la rend bonne ou mauvaise. La perfection produit la vraie félicité; mais celle-ci n'en est pas la fin. La perfection est recherchée pour elle-même; elle est fondée sur une idée rationnelle et indépendante de l'expérience. La loi morale n'est pas imposée à l'homme par une autorité extérieure; elle dérive de sa nature même; c'est une loi de la nature: mais en tant que cette nature a Dieu pour auteur, la loi naturelle est en même temps l'expression de la volonté divine, et Dieu n'a pu vouloir et commander à l'homme que ce qui est bien en soi. Cette morale était dans ses principes fort supérieure à celle qui dominait au XVIIIe siècle en France et en Angleterre.Il va sans dire que Wolf admet le fait de la liberté comme condition de la moralité. Sans doute la volonté ne peut se déterminer que par des motifs, et ces motifs lui sont imposés, mais ils ont leur source dans la raison, et c'est à se conduire sur des motifs raisonnables que consiste la liberté morale. Toutes nos pensées et tous les mouvements de notre corps, qui ont leur principe dans notre volonté, constituent nos libres actions. Dans le volumineux traité du Droit de la nature, qui, dans le système de Wolf, précède la morale proprement dite, il anticipe sur celle-ci, et revient sur des points déjà traités dans la philosophie pratique générale. Il y considère principalement les droits qui dérivent de la nature de l'homme; mais comme ces droits sont les mêmes pour tous, il les met toujours en regard des obligations. Droit et devoir sont pour lui des termes corrélatifs: à tout droit correspond un devoir, et l'on ne peut invoquer celui-là que sous la condition de remplir celui-ci. Les devoirs sont déterminés en détail dans la Morale. Ils sont d'abord divisés en devoirs qui ont pour objet le perfectionnement de l'intelligence, la perfection logique des stoïciens, et en devoirs qui ont pour objet de fortifier la volonté et de gouverner les penchants et les passions; puis en devoirs envers Dieu, envers nous-mêmes et envers nos semblables. La philosophie sociale et politique de Wolf est à la fois conservatrice et libérale, en général conforme aux maximes du gouvernement de Frédéric II. Elle impose à tous cette règle de conduite : « Fais tout ce qui peut contribuer au bien-être général et au maintien de l'ordre public et de la sûreté commune. » Toute société repose sur un contrat par lequel tous s'engagent dans leur propre intérêt à concourir à la prospérité commune. L'État parfait est celui qui pourvoit le mieux au bien-être de tous et de chacun. La monarchie limitée est, selon Wolf, le meilleur gouvernement. Tout en faisant une belle part au prince, il le soumet aux lois par le serment. Il va jusqu'à autoriser le sujet à désobéir à des ordres injustes ou illégaux; mais il lui refuse le droit d'examiner et de discuter les questions d'intérêt général. Sans faire de l'économie politique une science à part, Wolf a cependant traité à peu près toutes les matières comprises aujourd'hui sous ce nom, et si ses vues à cet égard n'ont rien de remarquable, elles n'en ont pas moins servi à fonder cette science difficile. En général, le grand mérite de Wolf, c'est d'avoir posé toutes les questions et d'avoir essayé d'assigner leur place à chacune. Il a peu d'originalité pour le fond des idées, qui sont en général celles de Leibniz, quelquefois celles de Descartes, souvent celles de tout le monde : son originalité est dans son esprit encyclopédique et systématique. En cherchant à tout définir et à tout démontrer, il a porté la clarté dans une foule de notions obscures ou mal déterminées, et par les efforts mêmes qu'il faisait pour convertir en vérités démontrées certaines hypothèses plus brillantes que solides, il en fit mieux ressortir la faiblesse et l'inconsistance. Il rendit surtout d'immenses services à l'Allemagne; ses ouvrages furent pour elle un foyer dont les lumières se répandirent sur toutes les sciences. Non-seulement la terminologie dont il se servit demeura en usage longtemps après qu'il eut cessé de régner; mais toute la philosophie allemande moderne se rattache à la sienne par la critique de Kant. La philosophie de Leibniz, qui ne formait pas un corps de doctrine régulier, et qui n'avait pas une terminologie bien arrêtée, ne devint réellement dominante que sous la forme systématique que lui donna Wolf. La philosophie de Wolf, qui était celle de Leibniz systématisée, complétée, démontrée, et parfois rapetissée, grâce à la clarté avec laquelle elle était exposée, et aussi grâce aux persécutions dont elle fut d'abord l'objet, fut bientôt généralement adoptée et enseignée dans toutes les chaires protestantes. Dès 1738, Ludovici, dans son Précis de l'Histoire de la philosophie de Wolf, put citer cent sept écrivains appartenant à cette école toute nationale, sans parler de ceux qui en appliquèrent la méthode et les principes à d'autres sciences, à la théologie, au droit, à la médecine, à la littérature. On remarque parmi les principaux disciples de Wolf: Thümming, qui publia un abrégé de cette philosophie : Institutiones philosophiœ wolfianœ in usus academicos adornatœ, 2 vol. in-8, 1725; Bilfinger, Baumeister, G. Frédéric Meyer, et surtout Baumgarten, qui essaya le premier, sous le nom d'Esthétique, de réduire en science, selon la méthode de Wolf, la théorie du beau dans les arts (Æsthetica, 2 vol. in-8, Francfort-sur l'Oder, 1750-58). La philosophie de Wolf, en général saine et élevée, profondément religieuse et morale, à la fois respectueuse pour la foi et la raison, pour l'autorité et la liberté, préserva longtemps l'Allemagne de l'invasion du matérialisme, lutta avantageusement à l'Académie de Berlin contre la frivolité des beaux esprits dont s'entourait Frédéric II, et donna naissance à la grande philosophie de Kant, qui la ruina et la fit tomber en oubli.
Dernière mise à jour:2009-06-22 23:51:57 |