Le but que Weigel se propose est le même que poursuivirent tous les mystiques : l'union de l'homme avec Dieu, le retour de l'âme vers son principe, vers la source de toute félicité et de toute perfection. Or, il y a, selon lui, deux moyens de s'élever à Dieu, l'un à l'usage de tous, l'autre qui n'appartient qu'au petit nombre : la foi et la science. La foi est un fait tout intérieur, tout spirituel : elle consiste dans l'Esprit-Saint que Dieu fait descendre en nous ; elle est sa parole vivante et nous vient directement de lui. L'Écriture sainte, les sacrements, la prédication, peuvent être des moyens de la réveiller quand elle s'assoupit; ils ne les font pas naître. De même qu'on peut pratiquer toutes les œuvres extérieures de la religion sans avoir la foi, on peut avoir la foi sans les œuvres; et comme il n'y a que la foi qui soit la source de notre salut, on peut être sauvé sans le baptême, sans les sacrements. On peut être sauvé dans toutes les religions, pourvu que l'on sache se recueillir et prier : car toute la piété est là. Weigel est bien persuadé que Platon et tous les philosophes platoniciens sont sauvés. La science ne contredit pas la foi ; elle la suppose au contraire, et ne saurait exister sans elle; car elle a pour principal but la connaissance de Dieu. Mais Dieu s'étant révélé en chair et en esprit dans le monde visible et dans le monde invisible, la science se compose nécessairement de deux parties : l'une qui a pour objet Dieu considéré en lui-même, et l'autre les manifestations de Dieu dans la nature. La première, c'est la théologie; et la seconde, conformément aux idées de Paracelse, reçoit le nom d'astrologie, parce que, aux yeux de ce philosophe, tous les êtres de la nature sont formés d'autant de germes qui se développent, comme les astres se meuvent, par leur énergie interne, et méritent de porter le même nom. Ces deux parties de la science sont inséparables : nous ne pouvons savoir ce qu'est Dieu que par ses œuvres, et nous ne pouvons comprendre ses œuvres qu'autant que nous les rapportons à une pensée, à une idée, à une puissance intérieure ; car la nature ne nous apprend rien par elle-même ; elle n'est bonne qu'à exciter ou à confirmer notre pensée. Weigel observe de plus que l'astrologie et la théologie, la science de la nature et la science de Dieu, ont un centre commun, c'est-à-dire notre propre esprit, ou, comme on dirait aujourd'hui, notre propre conscience. En effet, comment connaissons-nous les objets extérieurs? Ce n'est pas seulement, comme nous venons de le dire, par les idées, par les jugements qu'ils éveillent en nous, mais aussi par les sensations qu'ils nous font éprouver. Or, nos sensations ont leur source dans la sensibilité, et la sensibilité est une force intérieure, une vertu propre de l'âme comme l'intelligence, quoiqu'elle n'entre en exercice que sous l'excitation du monde physique. Le même raisonnement peut s'appliquer à Dieu. Dieu est sans doute le principe de toute connaissance et de toute vérité ; nous ne sommes rien, nous ne savons rien que par lui ; mais pour cela même nous sommes obligés, pour nous faire une idée de ce qu'il est, de consulter notre intelligence et d'examiner l'empreinte qu'il y a laissée, comme on cherche à reconnaître le voyageur aux traces de ses pas. On conçoit qu'avec cette opinion, Weigel ait donné pour titre à un de ses principaux ouvrages : Γνώθι σεαυτόν, Connais-toi toi même. Celte méthode, si sage en apparence, loin de le préserver des écarts du mysticisme, ne sert qu'à l'y précipiter : tant il est vrai que les méthodes sont impuissantes contre un penchant naturel de l'esprit! Puisque c'est en nous-mêmes, dit Weigel, que nous connaissons toutes choses, il faut nécessairement que nous soyons toutes choses, ou que toutes soient en nous. Apprendre, c'est devenir, à proprement parler, la chose même qu'on apprend ; nous devenons donc successivement toutes les choses que nous apprenons, et pour qu'il en soit ainsi, il faut que les germes de ces choses soient en nous : car nous ne recevons rien du dehors. Ainsi le firmament, ■quoique visible hors de nous, n'en est pas moins en nous. Dieu aussi est en nous, et cette union de Dieu avec l'homme n'est pas autre chose que le mystère de l'incarnation. On dirait un premier essai des modernes systèmes de l'Allemagne, principalement de celui de Fichte, où nous voyons aussi le moi produire tout ce qu'il pense, et se transformer successivement dans tous les êtres. Les conséquences de cette doctrine sont faciles à apercevoir. Si l'univers et l'homme peuvent se confondre et se transformer, en quelque sorte, l'un dans l'autre, nous avons le même empire sur la nature que sur nous-mêmes, et tout ce qui est en nous doit se retrouver dans les phénomènes de la nature. De là l'alchimie et l'astrologie judiciaire, que Weigel ne sépare pas de la métaphysique, et auxquelles il a consacré plusieurs ouvrages. D'un autre côté, si l'univers peut être transformé dans l'âme humaine, et si l'âme humaine tire toute sa substance et toute son intelligence de Dieu, si l'homme tout entier n'est qu'une incarnation de Dieu, il est évident que l'homme et l'univers tout ensemble sont compris dans la nature divine, font nécessairement partie de l'essence divine. En effet, de même que l'homme, en apprenant les choses qu'il croit étrangères à son être, n'apprend que son propre esprit, ainsi Dieu, selon Weigel, en créant le monde, s'est créé lui-même; ses créatures ne sont que ses propres pensées. La création, telle qu'on vient de la définir, est nécessaire ; car, sans elle, Dieu serait sans pensée et sans volonté, c'est-à-dire qu'il ne serait pas. La création est la condition du temps; et sans le temps, l'éternité est incomplète. La suppression de la liberté divine entraîne avec elle celle de la liberté humaine. La liberté dans l'homme n'est pas autre chose, pour Weigel, que le développement naturel de ses facultés, et se rapporte a la sensibilité et à l'intelligence autant qu'à la volonté. Elle n'est jamais complète dans la vie présente, où l'essor de nos facultés est gêné par l'influence des astres, c'est-à-dire par les forces et par les lois du monde physique; nous ne la connaîtrons véritablement qu'après la mort, lorsque nous recevrons immédiatement d'en haut la lumière qui nous éclaire et l'amour qui nous inspire. Ce passage du mysticisme au panthéisme, et du panthéisme au fatalisme, a été observé très-souvent; mais voici une pensée qui semble appartenir plus particulièrement à Weigel, quoique l'idée première en soit prise dans la kabbale. La nature de l'homme étant précisément d'être l'image de Dieu et de l'univers, c'est-à-dire le plus haut degré de perfection après Dieu lui-même, il ne saurait y avoir aucune différence entre les hommes : tous sont égaux, tous sont semblables; et ce n'est que dans l'ordre matériel, c'est au point de vue de leur existence physique que nous pouvons les distinguer les uns des autres. Bien plus, tous les êtres venant de Dieu et se trouvant primitivement confondus avec lui, quum omnia adhuc sunt unum in Deo, tous participent de sa nature, tous sont bons par essence et paraissent égaux devant lui. Le mal n'est donc qu'un accident dans l'ordre moral, comme dans l'ordre physique. Rien ne peut être mauvais en soi. Le démon lui-même a conservé sa bonté originelle, et sa chute a eu d'heureuses conséquences; on peut dire qu'elle est un bien, puisqu'elle nous a placés dans la vie mortelle, d'où nous nous élevons, par la connaissance de la nature et de nous-mêmes, à la connaissance de Dieu. On trouve la même idée dans Boehm, qui appelle le diable le sel de la nature.
Dernière mise à jour:2009-06-22 01:52:54 |