D'après la définition générale qu'on donne de la qualité, et la seule étymologie du mot, on pourrait croire qu'elle comprend aussi les modes, les phénomènes, les faits les plus transitoires, les simples accidents, comme on disait dans l'école : cependant il n'en est pas ainsi. On entend par qualité ce qui constitue véritablement la nature d'une chose, ce qu'elle est, ce qui lui appartient d'une manière permanente, soit individuellement, soit en communauté avec des êtres semblables à elle ; et non ce qui passe, ce qui s'évanouit, ce qui ne répond à aucun jugement durable. Ainsi, un corps tombe : c'est un fait, un accident; il est pesant, c'est une qualité. Tout fait, tout accident, tout phénomène suppose une qualité par laquelle il est produit ou par laquelle il est subi ; et réciproquement, chaque qualité des êtres que nous connaissons par expérience se manifeste par certains modes ou certains phénomènes ; car c'est par là précisément que ces êtres se découvrent à nous. Il faut distinguer deux grandes espèces de qualités. Les unes constituent le fond même de chaque être, ou ce qu'on appelle la substance, et ne peuvent être supprimées par la pensée, sans qu'il en résulte la suppression de l'être tout entier : telle est, dans les corps, l'impénétrabilité et l'unité dans les esprits ; les autres sont comme attachées ou ajoutées aux premières, et ne peuvent être conçues sans elles : comme la couleur et la figure dans l'ordre physique ; la sensibilité et l'intelligence, dans l'ordre moral. Selon qu'elles appartiennent au corps ou à l'esprit, les qualités de cette espèce prennent le nom de propriétés ou de facultés : car on n'a pas voulu confondre ensemble ce qui exige le concours de la volonté et de la pensée, et ce qui appartient aux forces aveugles de la nature. Les autres, celles qui nous représentent l'essence des choses, sont appelées des attributs. Nous avons donné la définition et la division de la qualité ; quel est maintenant le rang qui lui appartient parmi les idées de notre intelligence? Quel est le rôle qu'elle joue dans la connaissance humaine? Aristote et Kant sont d'accord pour la compter au nombre des notions premières de la raison, des idées sans lesquelles la pensée ne peut exister, en un mot des catégories. Ce que nous avons dit jusqu'à présent suffit pour nous démontrer que cette opinion ne peut être ni rejetée ni adoptée entièrement. En effet, ce n'est pas toute espèce de qualité qui entre nécessairement dans la manière dont notre raison conçoit les choses, mais certaines qualités seulement, en très-petit nombre et parfaitement déterminées dans notre esprit, telle que l'unité, l'identité, l'activité, c'est-à-dire la notion de cause. D'autres ne sont connues que par l'expérience et peuvent être facilement supprimées par la pensée. Ce n'est donc pas la qualité en général; ce n'est pas cette notion vague et abstraite, applicable à des choses de natures si diverses, qu'il faut considérer comme un élément nécessaire de la raison, comme une catégorie ; mais ces qualités déterminées, parfaitement distinctes l'une de l'autre, qui entrent dans toute existence et sans lesquelles l'idée même de l'être n'est qu'une abstraction vide de sens.
Dernière mise à jour:2009-06-23 01:41:33 |