Dans la langue de Descartes, la réalité objective n'est que le moindre degré de la réalité; c'est celle de l'idée seule, ou de la chose en tant qu'elle n'est considérée que dans la pensée. «Par la réalité objective d'une idée, j'entends, dit-il (Réponses aux secondes objections, § 59), l'entité ou l'être de la chose représentée par cette idée, en tant que cette entité est dans l'idée; car tout ce que nous concevons comme étant dans les objets des idées, tout cela est objectivement ou par représentation dans les idées mêmes. »La réalité proprement dite, celle de l'objet même que nos idées nous représentent, quand cet objet est tout à fait conforme à nos idées, se nomme la réalité formelle ou actuelle. Ainsi le soleil est dans notre pensée objectivement; il est dans la nature actuellement ou formellement. Enfin, une troisième forme de la réalité, désignée sous le nom de réalité eminente, c'est une existence supérieure tout à la fois à l'idée et à l'objet, et qui possède en puissance ce qui est de fait dans les deux réalités précédentes (ubi supra, § 60). Pour les rapports qui existent entre l'esprit et les choses. Descartes établit une distinction entre l'âme et les autres objets de nos connaissances. L'âme se connaît directement elle-même par la perception du sens intime, cogito, ergo sum; elle saisit du même coup son existence et son essence. Les autres objets nous sont connus par des idées ; mais ces idées sont vraies, de quelque source qu'elles viennent, à la condition de l'évidence, parce que l'évidence est le signe qu'elles ne sont pas notre œuvre, mais l'expression fidèle de la nature des choses : car, ainsi qu'il l'assure (Principes de la philosophie, 1™ partie, § 18), « il est impossible que nous ayons l'idée ou l'image de quoi que ce soit, s'il n'y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées. » Après Descartes vient Kant, qui, sondant dans toute sa profondeur le problème de la connaissance ou des rapports de l'existence avec la pensée, a donné, à la distinction du subjectif et de l'objectif et aux mots qui l'expriment, ce sens absolu, et, si l'on peut parler ainsi, radical, que nous y attachons a présent. Pour lui, en effet, le sujet ce n'est pas l'âme, ce n'est pas la personne humaine, soit qu'on la considère comme spirituelle ou comme matérielle; ce n'est aucun être, enfin, mais un fait indéfinissable, existant on ne sait où, ni pourquoi, la pensée ayant conscience d'elle-même. Le je pense qui accompagne toutes nos perceptions et tous les actes de notre entendement, voilà, selon Kant, ce que nous appelons notre moi. Ce que nous prenons pour des idées nécessaires et absolues, ce sont simplement les lois et les formes de cette pensée, ou l'ordre dans lequel elle dispose les divers phénomènes de la sensibilité, autre fait que nous ne savons à quoi rattacher. L'objet, ou comme on l'appelle encore, la chose en soi (das ding an sich), c'est ce que nous admettons au delà et indépendamment de ce double fait, nous voulons dire la sensibilité et la pensée. Mais existe-t-il véritablement rien de semblable ? Nous n'avons en nous, ou plutôt il n'y a dans notre intelligence et clans nos sens, aucun moyen de le savoir. C'est à ce degré d'exagération que le père de la philosophie critique a conduit la distinction, déjà connue avant lui, du sujet et de l'objet, ou le dualisme inévitable de la pensée humaine. On conçoit que cet excès de l'analyse a dû provoquer un excès contraire ; et, en effet, l'école philosophique, qui a succédé en Allemagne à celle de Kant, a substitué au divorce de l'être et de la pensée, ou de l'esprit humain et de la nature, l'identité absolue de ces deux choses au sein de l'infini. Quant au fond des questions que soulève la distinction des deux termes de la connaissance, nous n'avons pas à nous en occuper ici (voy. Certitude, Raison, Scepticisme); car nous n'avons voulu qu'indiquer les différents points de vue sous lesquels cette distinction s'est présentée à l'esprit humain, et les mots qui ont servi à la traduire dans le langage.
Dernière mise à jour:2009-07-05 03:20:56 |